- Accueil /
- Ligne de faille /
- La vie n’aura pas à rougir de moi
La vie n’aura pas à rougir de moi
Par louis--marie | Le 03/12/2015 | Commentaires (1) | Ligne de faille
Le taxi éventre la nuit. Une femme en surgit, brune incandescente, caligulesque, à la vulgarité rayonnante, prête à flirter avec le mal. Le mascara coule de ses yeux noirs et se mélange à la pluie. Le visage trafiqué comme un selfie sur instagram, des talons trop hauts, une jupe trop courte, elle annonce sans pudeur ses heures de fitness et ses hiéroglyphes tatoués au bas d’un dos bronzé. Il croise son regard triste comme une sonate inachevée. "Le regard des plus belles femmes est en ré mineur" pensa-t-il en allumant une cigarette. Lui trimbale la nuit entière dans sa pupille. Seul un éclat esseulé parait être en exil dans la rétine, au centre de toute cette ombre, comme un démenti du noir. Il examine furtivement son propre reflet dans une vitrine conciliante. Certains traits ébauchés sous les soleils ardents se creusent maintenant distinctement sur son visage.
Au bout de l’impasse, la porte du bar est gardée par un chien de Fo sculpté dans la salle de boxe du quartier. A chaque nouveau client, elle s’entr'ouvre à peine et laisse sortir une musique puissante qui coupe la parole à la nuit. La femme s’y engouffre. Il entre à son tour après avoir terminé tranquillement sa cigarette.
Juste en dessous de la musique, il trouve la parole, lourde, crachée, envahissante, grasse, de la foule amalgamée en contrebas. Une dizaine de marches le sépare de la marée dont le flux laisse s’échouer quelques hommes saouls sur les escaliers et le reflux dégage une essence faite d’excès de testostérone, d’odeurs rances de bière et de mauvaise virilité mêlée aux parfums féminins qui ne cachent plus l’aigreur suri des aisselles. Le bouge est tellement underground qu’il avait failli ne pas le trouver malgré les indications fournies par ces trentenaires à qui il avait demandé une bonne adresse pour passer la soirée dans cette ville qu’il ne connaissait plus. «Allez au Rezisto, à cette heure-ci il n’y a plus de terrasse, mais le sous-sol est très revendiqué ! ». Il regarde maintenant le fond de la salle où trois Gudrun dansent presque nues devant un troupeau de taureaux menaçants afin de les subjuguer, telles des sorcières. Dans l’ombre, les expulsées attendent la fin du rituel, étudiant leur possibilité d’être reprises par les hommes en transe. Sous l’éclairage rouge du bar, posé sur le zinc, dos au mur, le buste de Staline a remplacé, depuis 1992, celui d’une Maryline warholienne. "Un don anonyme" dit le patron, content de l’aspect décalé de cette décoration. Une femme laisse glisser son haut en acrylique noir, monte sur le zing et offre symboliquement l’humiliante vulgarité de l’opulence du nouveau monde à ce salaud de Iossif Vissarionovitch Djougachvili dit Joseph Staline. Il règne une ambiance de noyade, de suicide et de reniement extatique. Toute eau profonde est froide, et la noirceur de cette profondeur n’a rien à voir avec la nuit indocile ou le goût de vivre.
Il tourna le dos à ces illusions, négligea le charnier des regards entravés qui tentaient désespérément de se fixer sur ses yeux fauves. Sans n’avoir rien consommé, il remonta l’escalier. Dehors, il aspira une grande bouffée d’air, prit un pas lent pour se diriger vers son 4x4. Il alluma le Motorola, régla la fréquence au-dessus des canaux réglementaires et dit d’une voix assurée : "carte blanche à l'insurrection". L’aube urbaine terminait de corrompre la nuit. Il monta dans le véhicule maculé de boue. "La vie n’aura pas à rougir de moi" pensa-t-il en quittant les lieux.
Rezisto esperanto Insurrection combat Attitude
Articles similaires
L'aventure, la guerre et la révolte
L’aventure, la guerre et la révolte sont les dessous affriolants de toutes les grandes civilisations. …
J'ai espoir que tout ce que je dis pourra être retenu contre moi !
Je suis né chez les Augustines, à la fin d’un été. J’ai grandi dans la préface du deuil de ce monde. J’ai côtoyé les soudards de la république, vu ses putains, ses mignons, ses d&…
Se nourrir d'une ardeur déchirante
Il faut toujours une grâce à la souffrance. Se nourrir d'une ardeur déchirante est l’une de ces bénédictions! …
Inutilisable pour la société
Il est doux de songer que l'on reste volontairement inutilisable pour la société. Roger Nimier …
Banquette 612
Ai croisé un jeune d'aujourd'hui : dépeigné de plusieurs jours, avachi des paupières, les chairs déjà molles, sérieux, le nez mal planté, le menton fuyait là où le …
Carte sur table
Il ne faut pas avoir peur d’être un homme perdu de réputation. Dominique de Roux …
Commentaires (1)

- 1. Ancolie | 14/12/2015
Ajouter un commentaire
Les boutefeux de Terra Ignota
Rechercher sur Terra Ignota
- Antifixion
- Bruno Deniel-Laurent
- Les dessous chics ou le blog Picard
- Le philosophe sans qualité
- Braconnages from Paname
- Feu sur le quartier général
- We are Julius
- Thierry Falise
- Zones subversives
- Le site sur Micberth
- Jacques Rigaut
- Anar de droite
- Pôlemostasis
- Le blog de Jacques Perret
- Carnets de JLK
- Savoir-vivre ou mourir
- Article 11
Aucun élément à afficher
- A la manière de
- Le vieil homme
- Tu seras un homme mon fils
- Testament d'un européen
- L'art du commandement
- La lente agonie des karens
- Entretien avec Nimier
- Stabat Mater
- La maison Vidocq
- Manisfeste d'une génération
- Le Talent
- L'homme est né pour le bonheur
- Déclaration de Saint Marc
- Allez dire à la ville
- Le beau est toujours bizarre.
- Les phares
- Lettre d'un père à son fils
- Vivre avec grandeur
- Etre au delà des hommes
- Non, merci !
- Qu'est-ce qui est noble ?
- La colère des Légions
ANIMAL DE MAUVAISE COMPAGNIE
FLIBUSTE
CHEVAUCHER LE LION
DEFRICHER, BATIR
FILIATION
COMMANDEMENT
BOUSCULER LE MONDE
CONSIDERATION
TRACER SA ROUTE
PROFESSION DE FOI
A TOUTE VITESSE
- Par Cassandre
- le 01/02/2021
- Par Cassandre
- le 01/02/2021
- Par luc boivin
- le 09/11/2020
Ou comment rester immortel d'un coup de révolver ! Beau texte que celui-là...
- Par Cyr4es
- le 11/10/2020
« On ne se souvient pas des jours, on se souvient des instants », disait Cesare Pavese
- Par chimbo31
- le 23/09/2020
- Par Phénix
- le 08/07/2020
- Par Le soupir
- le 08/07/2020
- Par Anonyme
- le 05/07/2020
- Par Ron
- le 05/07/2020
Personne n'y prête attention, mais j'aime tes #hashtag insolents.
- Par Gradelle
- le 14/06/2020
Ami de jeunesse Olivier je pense souvent à toi. Repose en paix ou tu te trouve Éric
- Par marignac
- le 19/04/2020
- Par GRANSFORS
- le 16/04/2020
est le titre sublime d’un album de Lavilliers… vanité et exotisme.
- Par Christophe Essay
- le 16/04/2020
- Par Dada&Co
- le 09/04/2020
- Par Lebuchard courroucé
- le 10/02/2020
- Par Lebuchard Courroucé
- le 10/02/2020
- Par Un hussard sans cheval
- le 12/01/2020
LA LOUVE
LA VIE, LA MORT, LA NATURE
LA VIE, LA MORT, LA MER
LA VILLE, LES TEMPS MODERNES, LA VIOLENCE
EMPREINTE
Tags
MOLOTOV COQUETELE
BARRICADES ET BLOODY MARY
OPEN WAR
METTRE LES POINGS SUR LES I
NOUS, ON FAIT DANS LE PLOMB
LE GOUT DU SABRE ET DU CASSE TETE