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Lectures vagabondes, de Thomas Morales

Le 06/10/2014 à 00:00

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  • 18 euros

Lectures vagabondes de thomas morales

Au gré de quelques soixante-quinze chroniques, Thomas Morales nous emmène par les chemins de traverses de ses lectures à la rencontre des écrivains qui le hantent. Un panorama littéraire du second vingtième siècle où s’esquisse une prédilection pour le panache des stylistes et la tendresse des plaisirs perdus.

Etrange mise en abyme : celle d’un exercice consistant à rendre compte du recueil des chroniques de Thomas Morales qui bien souvent évoque lui-même les miscellanées, varia et spicilèges critiques de ces prédécesseurs quand il ne s’escrime pas à parler avec bonheur d’essais sur d’autres écrivains. Ce vertige est bien vite dissipé à la simple vue de la couverture : Lectures vagabondesArticles buissonniers, nous voici en terrain balisé. L’humeur « vagabonde », Blondin ! L’Europe « buissonnière », encore lui ! Et il n’est pas étonnant qu’il soit l’écrivain le plus abondamment cité dans ces pages. Encore moins que voisinent avec lui, tous ses frères d’âme et d’arme, cette longue cohorte de hussards, mousquetaires et autres uhlans qui, depuis l’après-guerre, forment une famille aussi facétieuse que rétive à l’air du temps. D’un livre de François Bott, Morales écrit que « plus les pages défilent, plus un territoire se dessine. Nous entrons alors dans une cartographie intime. » Voilà qui s’applique à ces Lectures, car l’auteur a choisi sa patrie littéraire : figures tutélaires de la tendance Table Ronde / Figaro Littéraire et camarades de jeu de la « génération 89 », nés au crépuscule des Trente glorieuses, qu’avait naguère célébrés un numéro de la revue L’Infini.

Pour entreprendre ce voyage parmi ses affinités électives le chroniqueur, fin connaisseur ès attelages automobiles, place sa plume dans le sillage d’un quadrige de chevau-légers, tous éminents critiques : Bernard Frank (†), Renaud Matignon (†), Pol Vandromme (†) et Kléber Haedens (†). C’est déjà en révéler beaucoup sur son propre tempérament. Quelle drôle d’idée en effet de louanger des critiques non seulement disparus mais de surcroît oubliés ! Tous les manuels d’arrivisme pour gendelettres vous déconseillerez d’ainsi sacrifier votre énergie en pure perte ! Mais Morales, qui ne prive pas de distribuer quelques coups de griffes aux mœurs littéraires, est un nostalgique impénitent et si l’on cherchait un titre qu’il aime entre tous, il s’agirait sans doute de Monsieur Jadis ou l’école du soir, un autre Blondin, millésime 1970 encore vif et frais dans ses habits de mélancolie et d’humour désespéré. Ici, au cœur des vagabondages de l’auteur, entre l’ivresse du dernier verre et le froissement des draps, les souvenirs de pages graciles s’échangent comme autant de mots de passe avant que, de la ville, s’éteignent les derniers feux. Si l’on ne partagera pas nécessairement tous ses enthousiasmes, on sera enchanté de voir ressusciter des écrivains racés et d’entrevoir la promesse de bien d’autres découvertes.

Voilà pour l’histoire littéraire. Qu’en est-il de la géographie ? Dans le prolongement de la rue du Bac, les berges de la Seine trouvent leur estuaire du côté de l’autoroute de l’Ouest. Mais bien vite celle-ci connaît une embardée incongrue et nous voici à l’épicentre même de ce curieux phénomène que l’on nomme France : aux confins du Berry, de la Nièvre et du Bourbonnais, territoires de rivières et de forêts, de douces collines et d’aimables vignobles. Là résonnent encore les pas perdus du Grand Meaulnes, les contes paysans de René Fallet et certaines enquêtes du commissaire Maigret. Établi sur ces bases bien fermes, l’insouciant Morales peut alors se permettre de muser du côté de contrées aussi lointaines que l’Angleterre ou l’Italie. L’ombre portée du plus cosmopolite régional de l’étape, Valery Larbaud, plane du reste sur l’ensemble de ces chroniques, tant font écho aux dilections de l’auteur ces lignes par lesquelles Roger Nimier décrivait la forme idéale de l’œuvre larbaldienne : « Quel roman ? Oh, un récit, une parfaite histoire sentimentale, toutes les « choses d’ici-bas » murmurées une fois dans l’ombre, les doux mots, une fois encore, sur les lèvres tièdes. »

Évoquant le précédent livre de Morales, Jérôme Leroy, qui signe ici une préface juste et fraternelle, le peignait en « archéologue érudit et doux d’un passé si proche et si lointain ». On ne saurait mieux dire. Les livres, de préférence acquis chez un bouquiniste de province, agissent pour lui en intercesseurs, telles ces Bonnes feuilles du Jardin des plantes qui le réconcilie avec le vénérable parc du quai d’Austerlitz. Comme certains de ses inspirateurs collectionnaient les soldats de plombs, il entretient aussi une panoplie de termes fétiches, scandés au long de ses chroniques : ainsi des mots « grâce », « flânerie », « charme » ou « amertume » ; des épithètes « désuet » et « suranné » auxquels s’accole sans rechigner l’adverbe « délicieusement ».

Demeure une variation personnelle et généreuse sur des thèmes inactuels, celle d’un amateur au meilleur sens du terme

Bref, tout ici témoigne d’un goût impeccable avec tout ce que cela comporte d’impasses et de failles. Il y a forcément une part de pose chez un esthète pour qui l’on imagine que le mot « hollande » signale un papier vergé luxueux ou un drapier réputé plutôt que les remous de l’actualité. Confortablement installé dans ce salon-bibliothèque de papier, on peut à la longue se sentir étouffé par l’agencement, savamment ressassé, des mêmes obsessions, la surabondance des regards dans le rétroviseur et l’entretien par trop désinvolte d’une mythologie artificieuse (il n’est pas innocent que ce recueil paraisse dans une maison nommée « La Thébaïde »!). Demeure une variation personnelle et généreuse sur des thèmes inactuels, celle d’un amateur au meilleur sens du terme. La concision des textes, la liberté de gambader dans le désordre des chroniques, la légèreté et la délicatesse qui se dégagent de bien des pages, font de ce recueil un agréable compagnon aux premières feuilles d’automne, semblables à celles que faisaient virevolter les souffles entremêlés de Stan Getz et Chet Baker en des temps chéris par Morales.

Article de Guillaume Pinaut pour Zone Critique

  • Editions La Thébaïde
  • 2 votes. Moyenne 5 sur 5.

Commentaires

  • Lucien
    • 1. Lucien Le 14/04/2015
    Le petit cercle Jérôme Leroy, Thomas Morales, Philippe Lacoche prend de la vitesse...

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