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Etre au delà des hommes

Etre au delà des hommes, être héroïque, joyeux, s’imposer des lois viriles.

 

Que nous reste-t-il de Jean-René Huguenin ? Après le Journal, « plus rien ne paraîtra de lui » disait Mauriac. Faut-il conclure sur ces mots définitifs ? Dix lustres déjà, les traces s’estompent. Doit-on laisser l’étendard s’affaler de nouveau comme une voile qui ne se gonflera plus de la colère des orages ? Faut-il, vaincu par l’inertie d’un siècle sans ondulation, laisser en corps-mort - ancrage inconsolable où plus aucun bateau ne viendrait s’arrimer - cette promesse d’héroïsme et de révolte, alignée, là, avec ces vieilles gloires épuisées, envasées : l’idéal, les valeurs, la jeunesse, l’amour, l’amitié.

N’y a-t-il donc finalement qu’un roman, quelques feuillets d’un journal et une petite centaine d’articles comme disait Pol Vandromme, dans son Journal de lecture ? Depuis le travail discret de Gaëlle Doutre, en 2002 (Espérances et inquiétudes : l'écriture frondeuse de Jean-René Huguenin) ; ou la trop brève brochure Jean-René Huguenin parue Au signe de la Licorne ; ou plus loin encore Le Feu à sa vie par Michka Assayas (1987), seuls quelques billets semblent s’agiter comme des feux follets, prêts à s’éteindre au prochain coup de vent.

L’Encyclopédie Universalis, sur la page Jean-René Huguenin, écrit cette terrible phrase « un jeune intellectuel des années 1950 qui n'a pas eu le temps de se renier. ». Voilà donc le choix : mourir ou se renier. Voilà pourquoi tant d’écrivains écrivent perinde ac cadaver , à la manière des cadavres. Croyant tromper l’axiome Universalis ils écrivent froid, pâle, d’une encre exangue, presque verdâtre. Mais nier la vie, c’est se renier trois fois. Ils le découvrent toujours trop tard.

Il ne faut pas croire les encyclopédistes en crinolines et leurs vérités universelles, il ne faut pas être un idolâtre, ni même aimer se prosterner indéfiniment devant les cierges parce qu’il se dégage de ces postures une idée de contemplation, de stagnation, de genoux caleux et de regards mouillés de vieilles dames violettes sentant l’eau de Cologne. Il ne s’agit pas d’élever un mausolée en point de fixation passéiste. Il s’agit de saisir l’étendard et poursuivre la charge ! Voilà ce qu’il reste de Jean-René Huguenin : l’idée que la vie vaut d’être vécue avec intensité, qu’il faut s’obéir, et que la mort est « notre dernière chance d’être digne ».

« Assez de concessions ! Guerre sans merci aux tièdes, aux esthètes du Nouveau Roman, aux prêtres de gauche, aux bourgeois [...], à tous les médiocres, les arrangeurs, les négociateurs de compromis entre la Science et l'Art, la matière et l'esprit, Karl Marx et Dieu, l'argent et l'âme » - Jean-René Huguenin

C’est une attitude, éloignée des modes, désinvolte, imprégnée d’un nouveau « romantisme vigoureux, plein d'une joie nietzschéenne ». Il a redonné cette impulsion joyeuse à la bande des enfants tristes. Cela tombait bien, ces grands frères instables - dont les subversifs coquetèles Molotov explosaient encore régulièrement sur les boulevards de la littérature - étaient prêts à céder le haut du pavé aux grimaces éthyliques saganiène (Bonjour tristesse 1954). Huguenin a ramené la balle dans le terrain de jeu alors qu’elle filait en touche, dans la mélancolie des bars de nuit.

« La tristesse, dont nos aînés se sont repus au point d’en assaisonner tous leurs sentiments, comme ces Anglo-Saxons qui arrosent indifféremment leurs salades, leur poisson et leur viande de la même détestable sauce rouge – Les enfants tristes, L’Amour triste, Bonjour tristesse, Le Bonheur triste… » - Jean-René Huguenin

C’est une posture établie entre l’ordre et la révolte. Un mouvement fougueux, léger, impérial, partisan d'un style rapide et incisif. Une allure tenant plus d’une charge de Uhlans, comme un clin d’œil aux figures tutélaires des Hussards, que du rouleau compresseur d’une avant-garde. Il faut maintenant apprendre à vivre sur ce point d’acmé. Une touche de mysticisme n’est jamais loin à ces altitudes où l’âme retrouve toute son importance.

 « [Un délire qui] seul permettrait une création absolument neuve, rebelle aux lois humaines, dont les airs trop connus me coulent de la bouche, me font lever le cœur » – Jean-René Huguenin.

C’est un héritage, une lignée, un arrière-pays qui nous est livré. Nous sommes des héréditaires, Huguenin transmet et nous laisse passer avec une tape discrète et amicale sur le tweed. Il s’est reconnu dans une race d'écrivains allant du cardinal de Retz à Bernanos et Valery, en passant par Stendhal et Barrès. On y croise également Green, ou Mauriac. Des coups de crocs à Montherlant, à Nimier, comme font les loups d’une même meute. Ici également, un ADN de solitaire partagé avec Drieu la Rochelle ; et là, son quatuor romantique : Lermontov, Pouchkine, Byron et Musset.

« Je voyais reparaître toute une lignée d’hommes virils, batailleurs, mais généreux, courtois jusqu’au sacrifice » - Jean-René Huguenin.

« Mais s'il y a quelque chose à faire aujourd'hui, c'est à partir de Rimbaud, Valéry et Bernanos — les trois fous. Le fou des Sens, le fou de la Raison et le fou du Cœur » – Jean-René Huguenin

 « Un Stendahlo-Barrésien qui s’ignore : Jean-René Huguenin.» - André Dulière

« Huguenin apparaît d’ailleurs assez comme une sorte de néo-Montherlant. Sans doute parce que sa pensée naît, comme celle de Montherlant, au confluent du christianisme et du nietzschéisme » - Michel Géoris

Chacun de ces sabreurs a fait avancer la charge. Figures tutélaires de notre Civilisation bannie de ses terres, aujourd’hui nomade, et que l’on croise en cartouchière sur notre âme. Huguenin a pris place à leurs côtés portant ses quatre lances d’ascèse et d’absolu.

 

-       Etre un romantique joyeux

-       Avoir une morale dure

-       Réhabiliter l’âme

-       Etre impatient

 

 

Par Louis-Marie Galand de Malabry, le 22 septembre 2012.

Les âmes fortes

 

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