Le Feu Follet - Le film, 1963
Je n’aime plus Paris. Vieille ville embaumée, elle ne m’évoque que le spleen de Baudelaire et l’errance d’un feu follet, l’acteur Maurice Ronet. Dans le film de Louis Malle, un homme au visage d’enfant blessé s’y débat, craignant cette ville comme l’antre de son démon, l’alcool. Des gens s’agitent, travaillent, rient, parlent ou pleurent, dans la cacophonie des marchés ou la langueur des bistrots, et tout cela glisse sur lui tandis qu’il ne fait qu’effleurer l’existence. Cet homme, c’est Alain Leroy, création de Pierre Drieu La Rochelle et transposition de son ami Jacques Rigaut, écrivain autant dada que peu prolixe.
D’une tristesse et d’une beauté vertigineuses, Le Feu follet de Louis Malle (1963) fait communiquer les âmes maudites par-delà les barrières du temps, dans un jeu de miroirs complexe : le livre de Drieu, publié en 1931, fait allusion à la dépendance à la drogue de son ami et à son suicide. L’écrivain finira lui aussi par se supprimer et par inspirer à Louis Malle son cinquième film. Maurice Ronet, l’acteur principal, est, à l’instar du personnage qu’il incarne, alcoolique.
L’adaptation cinématographique respecte le texte en même temps qu’elle le trahit, notamment sur la question centrale de l’autodestruction, vocation pour Drieu et possibilité pour Malle ; ce dernier laisse d’ailleurs entendre, dans une interview réalisée au moment de la sortie du film, l’attrait qu’a pu exercer un temps cette idée sur lui. Au-delà du traitement de ce thème, ce qui me captive le plus dans ce film reste l’étrange communication entre Rigaut, Drieu et Malle à travers les époques, des intériorités transposées à vif à l’écran, dans les ruines de la pureté du visage de Ronet. Et la manière dont Malle imbrique les années 1930 et les années 1960, comme s’il nous mettait en garde : « Désolé, mais ce n’était pas mieux avant. Il y a toujours eu des âmes en peine cherchant un refuge dans d’autres époques, s’enivrant d’une nostalgie usurpée. Et si, au fond de toi, tu n’es pas heureux aujourd’hui, alors tu ne l’aurais pas plus été hier. C’est ici et maintenant que tu dois donner du sens à ta courte existence. » En somme, le temps passe mais les hommes changent peu.
Les trois derniers jours de la vie d’Alain, homme impatient et fragile refusant les compromissions inhérentes à son âge, nous renvoient à notre époque à travers un autre aspect : l’engagement politique. Par le biais de la guerre d’Algérie, sujet délicat et encore peu traité au cinéma à l’époque, Malle pointe du doigt les illusions idéologiques, qui feront prendre à certains les armes pour défendre l’Algérie française. Une séquence tournée à la terrasse du café de Flore met en scène deux des anciens camarades de régiment d’Alain tentant brièvement de le convaincre de rejoindre les rangs de l’OAS, ce qu’il refuse. Cette difficulté à s’engager dans des aventures collectives, notamment politiques, me semble l’une des problématiques majeures de ma génération (les enfants des années 1980), qui a vu les idéologies s’effondrer dans les livres (fascisme), à la télévision (communisme), et bientôt peut-être sur Internet (capitalisme). Ce qu’on désigne aujourd’hui comme du militantisme m’évoque plus une entreprise de com’ ou un calcul carriériste qu’une volonté farouche de construire un monde différent.
Le long métrage fait de ce point de vue écho au livre, répondant à l’engagement politique de Drieu La Rochelle – qui collabora avec l’occupant nazi – par le refus de s’engager d’Alain Leroy. Un écho troublant qui les mène tous deux au suicide puisque Drieu le préférera à la fuite au moment de la Libération, alors que l’Alain de Louis Malle aurait pu se sentir exister à travers un combat politique (en l’occurrence, pro- ou anti-Algérie française). Mais ce dernier va préférer le retrait à l’action, pas par conviction idéologique, mais surtout parce qu’il reste un adolescent qui voit sa jeunesse faner et qui refuse de se façonner un masque d’adulte, un être souffrant qui peine à donner du sens à son existence (la maladie de l’athée). Et finit par se retirer, comme l’écrivait Tzara, « avec l’empressement d’un enfant qui se tue ».
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Encore un très beau texte, rageur et efficace. Avec amitié, TM
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