les regards submergés
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Ils arrivent, lui part !
- Le 04/10/2015
- Dans Joyeuse sédition selon Matthieu
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Train, place fenêtre, la pluie remonte la vitre entrouverte. Il sent le vent froid. La vitesse floute le paysage proche et le transforme en code barre horizontal que la distance finie par engloutir. Les dernières lumières rasantes découpent l’air en d’étranges jeux d’ombres névrotiques. On rentre dans le tunnel. Bruit plus sourd, odeurs fades. Les oreilles se bouchent. Les secousses s’amplifient, se durcissent, les lumières s’éteignent. Les os grincent. Le cœur se crispe. Bruit de freins rouillés. Des cris ouatés mélangés aux crissements des ongles sur les tissus des fauteuils de première classe. Impossible à transcrire, un peu comme une angoisse glacée, élégante et étouffée. Le long glissement sur les rails qui vient courtiser l’imminence du danger. Les yeux perplexes des voyageurs. Les visages bleus qui se renvoient des regards déjà submergés.
Un brasero rouge grandiloquent joue le rôle vulgaire de la lueur au bout du tunnel. Les odeurs et le vent et la nuit reprennent le rail cadencé. Lui retourne à l'inventaire encombré de ses balafres, imbibé de noir. Il se déleste de ses derniers souvenirs dans le reflet rapide d’une flaque bleue, profonde et mélodique.
Une voix grésille pour annoncer l’imminence du terminus et de ne rien oublier dans le compartiment. Les hommes remontent leurs ceintures, les femmes tirent sur leurs bas. Contrôle fébrile des poches, des sacs, des valises, des vestes, des manteaux, des peurs, des messages qui ordonnent déjà.
Il se lève, laisse tout derrière lui. Il n'a aucun rendez-vous.
Ils arrivent, lui part !